L'Ardenne, l'autre royaume des contes et légendes

Rencontre avec les fées, les lutins et les personnages légendaires de chez nous

Les pays de forêts sont, par excellence, ceux des légendes. L'Ardenne, qui est toute en sa forêt, ne déroge pas à la règle. Contrairement aux contes, lesquels n'ont pas nécessairement d'attaches géographiques, les légendes, elles, sont indissociables de certains éléments du paysage : rochers, pierres, arbres, sources, ruines...

© Jean-Luc Duvivier de Fortemps

"En Ardenne, tu sais, le merveilleux s'inscrit dans la réalité. C'est notre nature qui veut ça ! La forêt est la légende de l'Ardenne." Guy Denis

Dans ces récits très localisés, l'être merveilleux le plus répandu est sans conteste le nuton (de l'ancien français netun, sorte de démon, et du wallon nutt' : « nuit »), appelé sotê (« petit sot ») ou encore massotê dans le nord-est du pays. De fait, il est peu de villages qui ne possèdent leur trou ou leur roche des nutons. Très proche du nain des légendes allemandes et des Wichtels luxembourgeois, le nuton habite les grottes, les anciennes mines et les failles des rochers. Tantôt cordonnier, forgeron ou rétameur, il se montre très habile en toute sorte de métiers. Sa force physique exceptionnelle en fait un être toujours redouté par certains habitants. Susceptible et rancunier, il châtie durement ceux qui le provoquent. Il est donc dans l'intérêt des hommes d'entretenir avec lui des relations de bon voisinage.

Pour s'attirer la bienveillance des nutons et rétribuer leurs services, les campagnards leur font des dons en nature (œufs, pain, beurre...), lesquels sont déposés à l'entrée de leur caverne. Ces offrandes perpétuent-elles le souvenir d'une antique dévotion ? Les nutons et consorts sont-ils les successeurs d'anciennes divinités entrées dans le folklore ?


Autres êtres légendaires de la mythologie ardennaise sont les fées. Celles-ci ont peu de choses en commun avec les fées littéraires des contes de Perrault et des romans arthuriens, sinon leur beauté et leur puissance magique. Avatars plus ou moins complexes des Parques, des déesses-mères et d'une série de divinités topiques liées au culte des bois et des fontaines, les fées dispensent la bonne ou la mauvaise fortune, et ont un goût prononcé pour les chants et les rondes. D'ordinaire bienveillantes et serviables, elles se montrent susceptibles et rancunières si on leur manquait d'égards. En Ardenne, la presque totalité des sites habités par les fées, principalement des roches et des ruines énigmatiques, se trouve concentrée dans la vallée de la Semois, où nos sylvaines ont investi ces lieux aux dépens des nutons.


Après les nutons et les fées, l'être le plus rencontré dans les légendes ardennaises est le diable. Le nombre des pierres qui lui sont attribuées est considérable. Beaucoup d'entre elles sont suspectées d'avoir été jadis l'objet de pratiques superstitieuses, et, messire Satan personnifiant le vieux paganisme, leur appartenance au démon a jeté sur elles une sorte de discrédit, de damnation. Dans les récits, le diable, sous les traits d'un « beau monsieur », se rencontre partout, de jour comme de nuit, rôdant dans la campagne et les bois, où, à ceux qu'il croise, il promet monts et merveilles en échange de leur âme. Mais moins malin que l'on ne s'y attend, il finit toujours par être berné.


Les sorciers et les sorcières, également très présents dans les récits, occupent une place à part, à mi-chemin entre légende et réalité historique. De fait, nombreux ont été par le passé les procès de sorcellerie, ceux-ci débouchant en certains lieux sur de vrais holocaustes. Ainsi à Sugny, plusieurs femmes condamnées pour sorcellerie sont bannies ou brûlées en l'espace d'un an !


L'Ardenne connaît aussi des légendes historiques, c'est-à-dire des récits qui mettent en scène des personnages ayant réellement existé, mais sur lesquels courent toutes sortes d'histoires édifiantes. Parmi les plus emblématiques, on trouve saint Hubert et saint Remacle, le premier des suites de sa conversion miraculeuse en présence d'un cerf crucifère, le second, en souvenir du loup diabolique qu'il avait réussi à domestiquer. Guillaume de La Marck, le fameux « sanglier des Ardennes », dont le souvenir terrible hante les ruines du château de Logne, fait également partie de ces personnages hauts en couleurs.

Saint Hubert
Saint Hubert
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Grotte de Cugnon


La légende des Quatre fils Aymon appartient, elle, à un tout autre registre. Issue d'une des plus célèbres épopées médiévales, elle relate la guerre qui opposa durant plusieurs années les quatre fils du duc Aymon de Dordonne au tyrannique empereur Charlemagne. Son succès, cette épopée le doit à la place importante qu'y tient le merveilleux, représenté par l'enchanteur Maugis, homologue ardennais de Merlin, le cheval-fée Bayard, capable d'accomplir des sauts prodigieux, et l'épée magique Flamberge qui, mise au vent, chante comme une flamme. Tout ceci sans oublier la noire forêt d'Ardenne, terre de féerie et d'aventures, où se déroule l'épisode le plus sombre de cette inoubliable épopée.


L'originalité du légendaire ardennais et ce qui en fait l'autre Royaume des légendes aux côtés de la Bretagne notamment, c'est cette complicité qu'il partage avec la forêt, cette forêt qui, depuis toujours, l'a protégée des influences étrangères et entretenu son mystère.

© Jean-Luc Duvivier de Fortemps

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Bibliographie

  • Sylvaines, 3e édition, Weyrich, 2016.
    • L'Ardenne ancestrale. A la recherche des temps oubliés, Weyrich, 2016.
      • Ardenne éternelle. Flâneries, découvertes et contemplations, Weyrich, 2015.